Institut de recherche indépendant sur la numérisation

Cher·e collègue, cher·e ami·e,

La fin de l’année 2024 clôt notre première année d’activité dans l’association à but scientifique IRIN. Elle fut riche en événements et parutions.

Fin janvier, nous étions une semaine à Temuco, au Chili, pour participer à la 7ème conférence internationale sur la technologie et les systèmes d’information. Nous y avons présenté un article, publié par la suite chez Springer, sur les notions d’objet modèle et de chimère numérique dans les infrastructures informationnelles. L’idée est qu’un objet dont nous semblons partager le sens dans le discours, comme « la ferme de Jeanne », ne trouvera pas de sens univoque dans les systèmes informatiques des organisations gérant de l’information au sujet de… la ferme de Jeanne. L’espoir d’un sens univoque, sur lequel repose la promesse d’une centralisation ou d’une standardisation des données à grande échelle (comme celle d’un secteur économique), n’est de fait qu’une chimère.

En juin, nous nous sommes rendus à Lucerne, en Suisse, pour participer à la 10ème conférence internationale sur la démocratie et l’administration en ligne. Nous y avons présenté un second article, publié par la suite dans IEEE Computer Society, montrant comment les développements informatiques menés par les gouvernements façonnent les infrastructures informationnelles (en même temps qu’ils sont façonnés par elles). Il s’agissait pour nous de défendre un certain rôle de l’État : celui de veiller à ce que ses développements portés dans l’infrastructure informationnelle d’un secteur comme la santé garantissent le développement collaboratif et collectif de services numériques, comme peut l’être un vérificateur d’interactions médicamenteuses. En effet, sans collectif collaborant (i.e., sans distribution), de tels services, qui impliquent une action partagée (autour du patient, au minimum des médecins, des pharmacies et des experts de ces interactions dangereuses), ne pourront tout simplement pas exister.

En juillet, nous étions à Amsterdam, aux Pays-Bas, à la EASST-4S, la conférence annuelle de la Société pour les études sociales des sciences et des techniques. Nous y avons fait deux présentations : l’une sur le thème de la souveraineté numérique et l’autre sur celui des interfaces de programmation applicatives (APIs). En matière de souveraineté numérique, nous avons montré comment les développements numériques portés depuis les années 1990 par l’Office fédéral de l’Agriculture menacent de compromettre un principe cher à la Suisse et inscrit dans sa Constitution : la subsidiarité, qui confère aux cantons l’exercice de leur souveraineté sur tous les objets non explicitement attribués à l’État fédéral. En matière d’interface de programmation applicative, nous avons cherché à montrer comment, dans cet objet d’apparence purement technique, se cache un mécanisme sociotechnique permettant de fixer des relations de dépendance entre les systèmes informatiques qui l’utilisent, remontant jusqu’au niveau des acteurs ou des organisations qui exploitent ces systèmes. Se connecter à autrui implique toujours un rapport de dépendance. La question est de savoir de quelles natures sont ces dépendances, existantes ou induites par le numérique : symétriques ou asymétriques, réciproques ou à sens unique.

En septembre, c’est à Barcelone, en Espagne, que nous nous sommes rendus en tant que membres du comité scientifique et organisationnel du 7ème atelier sur l’innovation dans les infrastructures informationnelles. Ce fut l’occasion pour nous de retrouver les collègues écossais que nous avions invités à Lausanne en 2022 dans le cadre de l’atelier sur la gouvernance par l’infrastructure. À Barcelone, nous avons pu rencontrer et échanger avec un réseau plus large, composé de collègues nordiques, espagnols et italiens. Les écouter présenter leurs travaux nous a incités à lancer un nouveau projet d’édition spéciale. Car d’édition spéciale, il fut aussi question en 2024.

En octobre est parue dans First Monday la seconde partie du numéro spécial sur la gouvernance par l’infrastructure, résultant de l’atelier de 2022. La première partie était parue déjà en février. Cette deuxième publication a clôturé notre première expérience d’éditeurs et marque les premiers étapes de notre objectif d’inscrire la question de la gouvernance par l’infrastructure à l’agenda de la recherche. Cette *gouvernance par* opère à travers la conception même de nos infrastructures numériques, et agit en complément de la *gouvernance de* nos infrastructures numériques, opérant à travers nos arrangements sociaux, commerciaux ou légaux.

Enfin, en novembre, est paru aux éditions Nomos un chapitre d’ouvrage, fruit d’une présentation que nous avions donnée à l’été 2023 à l’Université de Ferrare, en Italie. Cette contribution a été l’occasion de revenir sur notre travail de terrain mené entre 2018 et 2019 dans l’agriculture suisse et sur ses deux projets opposés sur leur vision de la numérisation : la plateforme centralisée Barto et la plateforme distribuée ADA. Ancré dans le droit européen, ce chapitre montre comment le projet Barto, par sa quête de centralisation des données, menaçait de rendre (encore plus) vulnérables nos paysans suisses. Le projet ADA quant à lui, grâce à sa conception technique distribuée, déployait des mécanismes permettant aux paysans de moduler leur confiance envers les organisations du secteur agricole appelées à gérer leurs données, tout en amenant, voire encourageant, ces dernières à rendre des comptes (en Anglais, digital accountability). Qu’en penserait Ernst Laur, premier dirigeant de l’Union Suisse des Paysans et grand défenseur de ces derniers à la fin du 19ème siècle, s’il vivait à notre époque numérique ?

Outre ces événements et publications, l’année 2024 aura aussi été marquée pour l’Association par son premier mandat de recherche, commandé par l’Université de Genève. Il fut l’occasion de mettre à profit nos savoirs et savoir-faire en matière d’enquêtes de terrain, de gestion de projets et de demande de fonds pour une thématique de recherche importante : la double transition, numérique et écologique.

Nous nous réjouissons de poursuivre ces lignes de travail en 2025, une année qui, après décision prise lors de notre retraite à Gruyère, sera consacrée au thème des infrastructures informationnelles et de leurs alter-politiques !

Nous te souhaitons, Cher·e collègue, cher·e ami·e, de joyeuses fêtes de fin d’année et une belle et heureuse année 2025 !

À bientôt,

Léa & Alain

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